LA BIENVEILLANCE

L’accompagnement de l’enfant doit être inconditionnellement bienveillant pour qu’il puisse grandir et s’épanouir en toute confiance, en pleine possession de ses moyens et de ses potentiels, et se consacrer pleinement à vivre et faire vivre ses aspirations naturelles (qui, je le crois, sont Amour…Mais cela n’engage que moi).

• Les outils de travail de la bienveillance sont :
  • • le ressenti
  • • l’empathie
  • • l’intuition
  • • la bonté

Ce sont des compétences, ou plutôt des qualités, que nous possédons tous à la source. Dans nos histoires d’enfants, et en raison des maltraitances diverses que nous avons subies, nous avons été comme mutilés de tout ou partie de ces compétences (et nos ancêtres avant nous, ce qui laisse également des stigmates dans nos cellules). Pour nombre d’entre nous, le préjudice que nous avons subi n’est néanmoins pas irréversible et nous avons une capacité d’autoguérison, avec l’aide des outils thérapeutiques offerts par les dernières décennies et des personnes bienveillantes qui peuvent nous accompagner.
Une société dont la plupart des citoyens a subi des maltraitances possède un ensemble de comportements en défaveur de la vie, et s’adonne spontanément à la destruction ou à la guerre. Un individu « mutilé », dans l’obligation, étant enfant, de se protéger pour sa propre survie et cohérence, peut avoir perdu le ressenti et l’empathie qui garantissent, chez l’être humain, un discernement non idéologique, non mental, pour le guider dans ses faits et gestes. A cause de cette perte de repères, l’humain peut devenir maltraitant pour sa progéniture, son environnement, ses semblables et même pour lui-même.
A l’inverse, lorsque nous sommes en pleine possession de nos compétences d’humains, nous pouvons être calmes, sereins, patients, éclairés, sages et nous sommes en mesure de devenir des artisans de l’amour sur la Terre, des Jardiniers et des Bergers de la Vie.

LE RESSENTI
Le ressenti est à ne pas confondre avec l’émotion perturbatrice émergée de nos histoires passées. Il est localisé dans tout le corps avec un point d’ancrage fort dans la zone du ventre et du plexus. Distinguer un véritable ressenti, qui n’est possible que lorsqu’un nettoyage émotionnel a été accompli, d’une remontée de sensations qui nous appartient du fait de nos blessures passées, est un exercice difficile.
Le ressenti nous permet de discerner « ce qui est », dans toute situation, avec d’autres moyens que le mental qui, par définition, est un ment-eur.
L’irritation, la colère, l’impatience, la terreur, les peurs, le désespoir ne sont pas, par exemple, des manifestations du ressenti, mais plutôt de l’ordre des blessures émotionnelles.

L’EMPATHIE
L’empathie peut également se ressentir par tous les capteurs du corps. Sa pierre angulaire est la zone du cœur où l’énergie empathique se manifeste le plus. Si nous y sommes attentifs, nous pouvons vraiment ressentir comme une chaleur qui danse, dans un va-et-vient entre l’autre et soi-même. L’empathie nous permet de reconnaître l’autre et de nous reconnaître nous-même (nous pouvons être empathiques pour nous-mêmes). Dans cette énergie du cœur, nous sommes appelés à vivre et faire vivre l’amour inconditionnel. Cela ne signifie en aucun cas que nous ne pouvons faire de choix, ni nous positionner. Car nous sommes appelés à avoir le même amour inconditionnel pour nous même : nous écouter, nous reconnaître, nous aimer, prendre soin de nous-mêmes (incontournable et difficile, compte tenu de nos conditionnements)… La CNV nous invite à un processus d’harmonisation entre soi et l’autre, en dépit des divergences, des différences de besoin, des différences d’être, des couleurs et sensibilités de chacun.

L’INTUITION
L’intuition est localisée par différentes cultures millénaires au niveau du front, sur la zone appelée aussi « 3ème œil ». L’intuition permet d’avoir une vision élargie de ce qui advient et de ce qu’il faut mettre en œuvre pour servir la vie. Elle nous permet de sortir du connu, et de laisser émerger la créativité qui nous est nécessaire pour favoriser des systèmes vivants plutôt que des systèmes sclérosés par une pensée uniquement rationnelle ou mémorielle.

LA BONTÉ
La bonté est également une qualité du cœur et de l’être tout entier. Certaines personnes paraissent entièrement enveloppées de bonté, et cela se manifeste dans la voix, le regard, l’attitude, le sourire, la qualité de présence, la spontanéité des actions, les actes de don et de gratuité. La bonté est une fée qui prend soin de la vie et distille généreusement mais discrètement, où quelle se trouve, une vibration positive, communicative, féconde et altruiste. La bonté créée un espace de sécurité pour l’humain qui en bénéficie comme pour celui ou celle qui la dispense, et elle favorise la paix. La bonté ne signifie pas, pour autant, la négation de soi. Elle ne peut s’installer par la force de la volonté et doit émerger naturellement et de plus en plus intensément au fur et à mesure du nettoyage émotionnel et de la modération de l’ego. La bonté est difficile à incarner lorsque nous devons nous protéger des agissements des autres. Nombre de ceux qui ont fait vœu de bonté ont été opprimés dans l’histoire de l’humanité. Le complément de la bonté pourrait donc être, paradoxalement, la posture du guerrier, l’énergie du « non » (un « non » qui, en fait, est une affirmation et non une négation). Lorsqu’il est à sa place, le « non » est ferme et sans violence, inspiré par le respect de soi, le respect de l’autre et le respect de la vie.

• De la théorie à la pratique :

Nous sommes nombreux à éprouver de la difficulté à passer de la théorie à la pratique pour incarner véritablement la bienveillance. C’est pourquoi, l’un des préalables indispensable est de connaître et reconnaître son histoire personnelle. Nous agissons à partir de la manière dont nous nous sommes construit (il faudrait dire, dont on nous a construit, car l’enfant a subi les croyances conscientes et inconscientes des acteurs de son existence, des ancêtres de sa lignée, ainsi que de la société dans laquelle il a grandi). Ainsi, nous ne sommes pas libres à priori. Notre liberté intérieure fait l’objet d’une conquête personnelle qui peut prendre des années et même, sans doute, le temps de notre existence toute entière. Mais, heureusement, l’expérience nous offre l’opportunité de jouir de plus en plus de nos potentiels pour pouvoir incarner qui nous sommes vraiment, de plus en plus.
L’un de nos obstacles principaux est le déni (non-reconnaissance de notre réalité, de « ce qui est », et notamment négation de nos émotions), musclé parfois par la volonté d’accéder directement à un idéal. La culpabilité renforce également le déni quand nous réalisons les contradictions qui sont les nôtres, et percevons avec effroi, par effet de loupe, les démons qui nous envahissent. Remettre en question les comportements des parents que nous aimons ou comprendre (prendre avec soi) vraiment les conséquences de nos actes sur l’enfant peut également inviter le déni, pour ne pas nous sentir trop coupables ou trop culpabilisants. Changer le paradigme de la relation à l’enfant est un vrai travail, difficile, parfois harassant, qui requiert beaucoup d’honnêteté et le rabotage sans complexe de l’ego. L’on peut passer par des phases d’une extrême intensité et se sentir comme un funambule, sur le fil de plus en plus ténu de l’existence. Dans l’équilibre, ce funambule possède pourtant une stabilité proche de l’absolu, ce qui paraît paradoxal avec sa qualité intrinsèque… Lorsque nous sommes, même très sporadiquement, touchés par la grâce de cet état d’équilibre, il semble que nous pouvons à nouveau accéder à la source, et nous sentir pleinement humains. Accompagner l’enfant a tout d’une discipline spirituelle en même temps qu’une pratique très concrète, parfois terre à terre, matérielle et pratique.

L’autre obstacle à une pratique de la bienveillance est le mental qui vient nous raconter mille et une raisons de ne pas écouter ni suivre notre cœur. Le mental a des stratégies extrêmement habiles pour s’immiscer à notre insu. C’est un caméléon, qui ne montre pas toujours sa réalité, et fait volontiers prendre des vessies pour des lanternes. Ainsi, nous pouvons croire nous situer « dans le ressenti », alors que nous traduisons en fait inconsciemment un héritage ou un autre, travesti par les histoires que l’on se raconte pour justifier nos comportements.

Etre un éducateur bienveillant en pratique : une respiration entre l’enfant et soi-même

  1. LE CENTRAGE (vers soi)
En tenant compte de la conscience que nous avons de ce qui nous constitue, prenons le temps d’évaluer, chaque matin (ou chaque moment opportun), dans quel état intérieur nous sommes. Sommes nous dans nos ressources ? En pleine possession de nos compétences ? Ou sommes-nous envahis par l’émotion ? Ou, si elle ne nous envahit pas, est-elle présente, en filigrane, dans notre état du moment ? Quels sont les évènements qui occupent notre actualité ? Comment nous affectent-ils ? En fonction de tous ces éléments, poser un constat intérieur nous permet d’ajuster nos comportements. Si nous sentons nos ressources limitées, si nous nous sentons irritables ou impatients, alors nous pouvons choisir des comportements plus intériorisés pour ne pas faire peser sur les enfants ces enjeux qui ne le concernent pas. Parler de nos états intérieurs en « annonçant la couleur » au collectif ou à l’enfant permet également d’éviter des écueils, et parfois même de nous libérer partiellement du poids qui pèse sur notre poitrine. Tenter de dissimuler nos états intérieurs n’est jamais une solution, et l’enfant qui est « branché » sur son ressenti perçoit quoi que nous fassions les vibrations qui nous habitent au moment présent.

  1. L’ÉCOUTE DE L’ENFANT (vers l’enfant)
Lorsque nous sommes en position d’accompagnant, prendre le temps d’écouter vraiment ce que dit ou fait l’enfant, sans interprétation à priori, avec le cœur, nous permet souvent d’amorcer un mouvement, même imperceptible, vers des libérations. En tous les cas, l’écoute met de la lumière sur « ce qui est », et nous sort des raccourcis que nous sommes tentés de prendre face à une situation (interprétation, réaction, automatisme, caricature, etc). L’enfant écouté nous donne les indications pour l’accompagner de manière adéquate.
Le non-jugement est un outil indispensable pour une véritable écoute, et cela nous emmène parfois loin, très loin, dans les remises en question de notre manière (étroite) de voir la vie.
Dans mon expérience, des enfants très perturbés peuvent nécessiter de poser des actes qui limitent les préjudices encourus par le groupe. Mais ce qui peut vraiment aider l’enfant à « guérir », c’est l’empathie, l’amour inconditionnel et l’assentiment. L’enfant doit sentir que quoi qu’il fasse, quoi qu’il dise, nous l’aimons et nous sommes de son côté (attention : pas dans l’approbation de ses actes ou comportements ! Et c’est bien différent !).

  1. L’ÉCOUTE DE SOI (vers soi)
Lorsque nous avons bien écouté, ressenti et dans le meilleur des cas compris le message de l’enfant, en nous gardant autant que possible d’interprétations subjectives, nous pouvons utiliser notre intuition et nos ressources pour élaborer des stratégies, des propositions, des comportements, des matériels pédagogiques, qui vont aider l’enfant. L’intérêt que nous éprouvons pour l’enfant nous guide vers ce qui est juste. Prenons le temps de respirer avec ce que nous avons entendu, de le faire descendre dans notre cœur, et de tirer les enseignements de nos observations.
    1. L’ADAPTATION (vers l’enfant)
Maria Montessori et d’autres pédagogues bienveillants disaient que l’enfant n’est jamais en cause dans une problématique. L’enfant est en permanence dans des réactions directes aux stimuli qu’il reçoit soit de son histoire passée ou de sa vie privée actuelle, soit de l’environnement qui l’accueille pour ses apprentissages ou pour d’autres raisons. Avec ses comportements IL NOUS DONNE UN MESSAGE ET CELUI-CI EST TOUJOURS JUSTE. Adapter les propositions faites à l’enfant signifie remettre en question ce qui doit l’être pour rétablir une harmonie, un équilibre, répondre à un besoin, nourrir une faim, étancher une soif, canaliser une énergie… Et si nos propositions ne fonctionnent pas, alors ayons la souplesse de les transformer à nouveau jusqu’à entendre sonner la juste résonance.

  1. LE BILAN (vers soi)
Une nouvelle introspection, basée sur notre observation des comportements de l’enfant face à nos propositions, nous permettra d’accomplir un bilan intérieur nécessaire pour éprouver ce qui nous est renvoyé. Sommes-nous dans la joie ? Ressentons-nous de la paix ? Avons-nous de la satisfaction ? Ou bien au contraire sommes-nous face à de nouveaux écueils ? L’enfant manifeste-t-il de nouveaux signaux ? Exprime-t-il totalement ou partiellement des dysfonctionnements ? Sommes-nous fatigués par notre accompagnement ou au contraire sommes-nous « énergisés » ? Les solutions mises en place respectent-elles nos valeurs profondes ?

La grande difficulté liée à la bienveillance est son impermanence : impossible de se baser sur des méthodes, des dogmes ou des préceptes. Certaines pédagogies (Montessori par exemple, lorsqu’elle est bien comprise) et certains outils (la CNV, l’écoute active, ..) ont prouvé leur efficacité, et l’on peut réellement s’appuyer sur eux. Mais rien ne peut se substituer au travail intérieur nécessaire pour accéder réellement à la sérénité, au calme, à l’ouverture, à la joie qui sont indispensables pour accompagner avec bienveillance.